Houris by Kamel Daoud

22 septembre 2025

Houris de Kamel Daoud n’est pas un livre facile, mais il aborde des questions d’une gravité et d’une intensité rares. Dans la dernière décennie du XXᵉ siècle, entre 100 000 et 200 000 personnes furent tuées lors de la guerre civile algérienne, un conflit interne opposant islamistes et armée, et non la guerre d’indépendance. Aujourd’hui, le gouvernement algérien tente d’effacer cette « décennie noire » de la mémoire collective, interdisant toute discussion sur les atrocités commises. Cette guerre reste ainsi largement ignorée, non seulement hors d’Algérie, mais aussi parmi de nombreux Algériens eux-mêmes.

Kamel Daoud, romancier et journaliste, sait que la presse ne peut offrir qu’un regard fugitif sur l’histoire. La littérature, elle, permet d’entrer dans la chair des événements, d’en explorer la profondeur. En combinant ces deux approches, Daoud offre un éclairage unique sur la violence des années 1990 en Algérie.

Le roman suit Aube, rescapée d’un massacre familial survenu alors qu’elle n’avait que cinq ans, à la veille du nouveau millénaire. Sa gorge tranchée l’a privée de parole, et elle respire aujourd’hui grâce à une canule. Suivre une narratrice muette, mais traversée de pensées et de souvenirs, constitue un défi narratif majeur et confère au texte une tension intime constante.

Vingt ans plus tard, Aube tombe enceinte. Le roman prend alors la forme d’un monologue intérieur : elle s’adresse à sa fille à naître, partageant souvenirs, traumatisme et interrogations. Peut-elle mettre au monde une fille dans un monde qui maltraite les femmes, les enlève, les viole et les brutalise ? Les « houris » évoquent les vierges promises aux hommes après la mort : la mort est sexualisée, la vie est désérotisée.

La question de la légitimité de l’auteur se pose : un homme peut-il écrire l’intimité d’une femme enceinte ? Daoud répond par la force de la littérature : elle est un tapis volant qui permet d’aller partout et d’être n’importe qui.

Aube doit raconter son histoire, malgré son incapacité à parler et une loi interdisant toute évocation de la guerre civile, sous peine de prison. Éduquée, consciente de son infirmité, elle entreprend un voyage vers son village natal, théâtre du massacre de sa famille et de son agression. Sur sa route, elle croise d’autres témoins du conflit, comme le chauffeur Aïssa Guerdi, qui raconte sa propre tragédie.

Le roman a provoqué un scandale en Algérie. Interdit par le gouvernement, il aurait puisé dans des événements réels. En novembre dernier, Saada Arbane a affirmé que le personnage principal s’inspirait de son vécu, sans son consentement. Daoud nie s’être basé sur les confidences faites en séance de thérapie, rappelant que l’histoire est de notoriété publique.

Récompensé par le prix Goncourt 2024, Houris est une œuvre à multiples strates, à la fois récit de survie et méditation sur la mémoire, la vérité et la résistance. Daoud affronte la réticence de l’Algérie à faire face à son passé violent avec puissance et courage. La perte de parole d’Aube devient une métaphore des voix étouffées dans la société algérienne. La tragédie de la guerre civile et ses dizaines de milliers de victimes réclament mémoire, et Daoud leur donne une voix à la fois urgente et bouleversante.

This entry was posted in Uncategorised. Bookmark the permalink.