Les enfants sont rois de Delphine de Vigan

27 octobre 2025

Le livre de Delphine de Vigan aborde une dimension potentiellement sinistre découlant de la croissance des médias sociaux. C’est un véritable roman de notre époque, un roman du XXIe siècle. Dans ses œuvres précédentes, telles que D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan a fréquemment utilisé la technique de l’autofiction. Les enfants sont rois s’éloigne de ce genre tout en conservant le réalisme quasi-documentaire qui est si familier à ses lecteurs.

Le monde du spectacle numérique
L’essor des médias sociaux a été à la fois progressif et largement imprévu, évoluant sans direction ni surveillance claires. Contrôlées par de puissantes sociétés multinationales, ces plateformes laissent aux utilisateurs peu de véritable influence sur la façon dont elles sont régies ou dont leurs données sont utilisées. Pourtant, malgré ce manque de contrôle, les médias sociaux représentent l’une des transformations les plus profondes dans la manière dont les êtres humains se connectent, communiquent et se comprennent. Ils ont remodelé nos vies sociales, brouillant les frontières entre le personnel et le public, l’intime et le global. Ce roman contribue à démêler la complexité de ces changements.

L’auteure utilise une intrigue policière pour aborder la vie d’enfants qui sont commercialisés par leurs parents influenceurs sur YouTube et Instagram.

Les deux femmes au cœur du roman
Au cœur de ce roman se trouvent deux femmes : Clara, une officière de police, et Mélanie, une influenceuse. L’auteure examine la vie de ces deux femmes, donnant au lecteur de nombreuses informations sur leurs origines et leurs personnalités différentes.

Ayant fait des incursions dans la télé-réalité, notamment The Loft, la version française de Big Brother, il est évident que Mélanie aime être sous les projecteurs. Une fois mariée à Bruno, Mélanie devient femme au foyer, mais rêve toujours de devenir une célébrité. Elle a deux enfants, Kimmy âgée de six ans et Sammy âgé de huit ans. En réalisant des clips vidéo de ses enfants, elle finit par filmer presque chaque moment de leur enfance. Créant sa propre chaîne, Happy Récré, les enfants rejoignent rapidement leur mère pour devenir des célébrités en ligne. À mesure que le nombre de likes se multiplie, Mélanie découvre que c’est un moyen très efficace de gagner de l’argent, plus d’argent qu’elle n’aurait jamais pu en rêver. Mais son amour pour ses enfants ne se transforme-t-il pas progressivement en exploitation ?

Le drame du livre commence lorsque Kimmy disparaît alors qu’elle jouait à cache-cache.

L’enquête et le monde parallèle
Clara fait partie des personnes appelées à enquêter sur la disparition de Kimmy. Son rôle dans l’histoire est plus subtil : elle observe, interroge et sonde sous la surface. En approfondissant, elle commence à examiner l’idée même de ce que signifie être un “influenceur”, découvrant un monde qui lui était totalement étranger. Kimmy Diore a grandi dans un univers parallèle, construit de toutes pièces, virtuel et régi par des règles que Clara n’avait jamais rencontrées; une réalité qu’elle commence seulement à comprendre. C’est un monde à part entière, un monde dont la plupart des gens ignorent encore tout.

De nombreuses vidéos YouTube de Happy Récré consistaient en des enfants déballant des jouets et des vêtements offerts par des entreprises à des fins publicitaires. La question se pose : « Que peuvent désirer des enfants qui ont tout ? Quel genre d’enfants vivent ainsi, ensevelis sous une avalanche de jouets qu’ils n’ont même pas eu le temps de désirer ? »

Le roman se transforme de plus en plus en une enquête sur la façon dont YouTube et Instagram ont changé la vie quotidienne, poussant les gens à vouloir accumuler sans cesse des vues, des likes et des stories. Il montre comment les influenceurs exposent la vie de leurs enfants qui peut être marchandisée au nom de l’amour, de la gloire et des likes.

L’ombre de Guy Debord
L’un des personnages qui témoigne devant la police est le critique des médias sociaux Loïc Serment, qui déclare ironiquement : « Je suis youtubeur, donc je suis heureux. » Mélanie n’apprécie pas cette critique et demande pourquoi les gens ne réalisent pas qu’elle a toujours fait de son mieux. Bien sûr, Mélanie répondrait à toute question concernant l’exploitation de ses enfants : « Vous savez, chez nous, les enfants sont rois. »

C’est un roman troublant sur le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, un monde où la visibilité règne, où l’intimité disparaît et où nous commençons à comprendre le véritable coût de la transformation de la vie en contenu. C’est une preuve glaçante des prophéties faites dans un livre influent des années 1960 : La Société du spectacle de Guy Debord. Debord y soutient que dans les sociétés capitalistes modernes, l’expérience vécue directe a été remplacée par une vaste médiation omniprésente d’images et de marchandises, où « l’être » a décliné en « l’avoir », et « l’avoir » en simple « paraître ».

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