Les belles ténèbreuses – Maryse Condé

Monday, 21st January 2013

Les belles ténèbreuses“Né à Lille, de père guadeloupéen et de mère roumaine, Kassem ne sait où se situer et se voit forcé d’endosser des identités qu’il n’a pas choisies. Il rencontre le Dr Ramzi dont il devient l’assistant et le protégé. Le médecin a une réputation sulfureuse. Kassem soupçonne des pratiques douteuses, voire coupables. Mais Ramzi exerce sur lui une fascination dont il ne peut se défendre. Ce Dr Ramzi est-il vraiment un sauveur ? Kassem saura-t-il s’affranchir de lui” (evene.fr)

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2 Responses to Les belles ténèbreuses – Maryse Condé

  1. Chris Ratcliffe says:

    À certains moments, il semblait que le livre raconte deux histoires. L’histoire de Kassem était tombé à terre, solide, tous les jours, réel. L’histoire de Ramzi était fantastique, pas tout à fait crédible. J’ai particulièrement aimé comment elle a montré la vie ordinaire des gens qui rencontrés Kassem.

    Kassem était faible, naïf, confiant. Ramzi a utilisé sa puissante personnalité à ses propres fins maléfiques. Pourrait-il y avoir eu une Ramzi s’il n’y avait pas eu de Kassem?

    Pourquoi ne pas faire quelque chose Kassem pour arrêter Ramzi, d’arrêter les épidémies? Il savait que c’était mal et ils le contrarier. Était-ce une faiblesse de caractère ou at-il véritablement se sentir impuissant contre le pouvoir de Ramzi? Pensait-il que personne ne voulait croire à une telle histoire invraisemblable?

    Je ne peux pas me souviens avoir lu un livre avec autant de caractères différents, mais il y avait seulement deux principales.

    Caractères
    Partout: Kassem; Ramzi
    Porto Ferraille and Dreamland: Anna; Onofria; Big Boss; Hafsa, dont Ramsi dit “a la fois m’a bouche, mon oreille, ma mémoire et mon bras droite”; Garoulamaye, Ebony Star, Aldo Moravia
    Marseille: Ousmane; Aminata
    Lille: Kellerman; Drasta; Katrina et Kumetha; Klodomir
    New York: Jibril; La Chascona; Jihad; Zaramian; Sephora

    Peut-être Bruised Hibiscus et Fleurs des ténèbres étaient aussi des personnages dans ce livre

    Dans une vidéo sur YouTube, Maryse Condé a dit que a bas des personnage c’est vous – ça veut dire soi-même. Tous roman sont plus ou moins autoiobiographic au fond.
    Et aussi, qu’il ny a pas grand différence entre Amerique, Afrique. Les gens veulent toujours un peu de paix., de bonheur, d’affection.

    Je ne savais pas pourquoi le livre est séparé en trois parties, chacune portant le nom d’une couleur. Vert pour la partie de l’Afrique, gris pour la partie de la France et blanc pour les USA.

    Quel était l’objectif de Maryse Condé en écrivant ce livre. Voulait-elle de montrer comment un homme mauvais peut réussir? Etait-elle en essayant de montrer comment une personne faible peut permettre à ceux qui en le pouvoir d’exercer non contesté? Ou était-ce simplement une critique du capitalisme?

  2. Cyril says:

    La satire sociale dans Les belles ténébreuses de Maryse Condé

    Dans ce roman plein de péripéties extraordinaires, Maryse Condé met en scène une satire sociale aussi divertissante qu`incisive. Un cortège de personnages hauts en couleur, depuis les plus minables et démunis jusqu`aux plus prestigieux et corrompus, défile devant le lecteur. Un drame psychologique sous-tend la satire. Sur le plan moral, les personnages principaux, Ramzi et Kassem, représentent deux pôles opposés qui s`attirent et se repoussent: l`un est un opportuniste rusé qui incarne le mal et l`autre est un ingénu, un Candide moderne, qui fait preuve d`une intégrité sans faille, bien qu`il subisse des influences contradictoires.

    L`ingénuité de Kassem est essentielle à la satire sociale. Le lecteur prend plaisir à déceler les arrière-pensées de ceux qui exploitent la bonté du jeune homme. Chez Ramzi, l`inverse se produit. La crédulité de ceux qui se laissent duper par ce charlatan, ainsi que leur empressement à s`impliquer dans ses pratiques douteuses, suscite le ridicule du lecteur, en soulevant d`importantes questions d`ordre moral et social. Par une cruelle ironie du sort, le statut social de Ramzi s`améliore grâce à sa duplicité, alors que celui de Kassem diminue en dépit de son intégrité. La triste destinée de Kassem rend la satire plus mordante et en dit long sur la confusion des valeurs morales dans la société contemporaine.

    Le faux docteur (Doctor Who !?) et son assistant, ce couple incongru de voyageurs intercontinentaux, pénètrent dans les recoins cachés de trois villes où le réel et l`imaginaire se mêlent en révélant les tréfonds de la nature humaine.

    Où qu`il aille, Ramzi sait se ménager les bonnes grâces des personnes haut placées. Par l`intermédiaire de ce personnage dominateur, le lecteur a accès aux coulisses du pouvoir politique. Par contre, les nombreux dealers que fréquente Kassem l`impliquent dans le trafic de stupéfiants. Au fil de ses aventures, on explore le monde des laissés-pour-compte de la société.

    A Porto Ferraille, Ramzi met à profit ses talents d`embaumeur. Il fait tant et si bien que le président lui confère les titres honorifiques ronflants de Pareur officiel et de Guide suprême de la révolution. Big Boss est une caricature des nombreux dictateurs corrompus qui essaient en vain de s`attirer la loyauté des flagorneurs qui vivent à leurs dépens. Le nom de la capitale, Porto-Ferraille, évoque le déclin de ce régime voué à la désintégration. Des complots se trament et menacent l`autorité du président. Le palais mal construit dans un style ostentatoire est un faible reflet des magnifiques bâtiments publics occidentaux qui abritent une corruption politique plus durable et sophistiquée.

    La satire de Maryse Condé n`épargne pas la vie politique française, en l`occurrence la corruption parmi les élus marseillais, qui sont si souvent dans le collimateur de la presse. Ramzi, dont le passeport a été obtenu frauduleusement, entre dans le pays sous un faux nom. Pourtant, puisqu`il s`est enrichi sous le régime de Big Boss, il n`aucune difficulté à se faire nommer Haut commissaire de l`intégration par le maire de Marseille. Il s`agit d`une sinécure bien rémunérée qui lui permet d`occuper un immense bureau lambrissé à l`hôtel de Région. Ce vaste décor semble témoigner de la vacuité des propos du nouveau commissaire. Personne ne sait ce qu` il fait….

    Par contre, le jeune Kassem, titulaire d`un vrai passeport français et de diplômes français, est réduit à s`embaucher pour une pitance comme moniteur à La main tendue, association caritative qui prend en charge des enfants issus de quartiers défavorisés. La générosité de Kassem, qui s`investit pleinement dans la vie de cette communauté, lui vaut le mépris des enfants qui le chahutent impitoyablement. Il a beau leur montrer de la tendresse et leur expliquer qu`il était comme eux ; ils n`apprécient que la force physique. La satire de Maryse Condé n`admet aucune sentimentalité. A la différence de Clément Matthieu dans le film Les choristes, le malheureux pion de La main tendue abandonne sa tentative d`initier les gamins rebelles au théâtre en mettant sur scène une pièce de Molière. C`est Les choristes sans la chorale. « Allez vous faire pendre ailleurs ! » lui disent les jeunes en guise d`adieu !

    Kassem, dont le père est guadeloupéen et la mère roumaine, est né et a été élevé à Lille. Mis en garde à vue en Afrique et faussement accusé, il réclame haut et fort sa nationalité française. «Je suis de Lille.» affirme-t-il. (Pour ne pas être en reste, Ramzi, accusé d`être un charlatan, prétend être diplômé de la faculté de médecine de l`université de Leeds !) La nationalité de Kassem est officiellement reconnue et il s`identifie à sa ville natale. Cependant il est souvent en butte à des préjugés racistes : on le juge selon son apparence physique. Inoffensif et ingénu, il est malmené par les forces de l`ordre, dont il attire les suspicions parce qu`il est noir de peau. Les gendarmes le rouent de coups : ses blessures disgracieuses rappellent au lecteur celles de Pangloss dans Candide.

    Paradoxalement, Il faut l`intervention du tueur en série, Ramzi, pour soustraire Kassem aux abus des systèmes judiciaires, que ce soit en Afrique, en France ou aux USA. Cela en dit long sur la victimisation des minorités ethniques dans les quartiers paupérisés du XXIe siècle.

    Honnête, intelligent et diplômé, Kassem ne parvient pas pour autant à échapper aux stéréotypes qu`on lui impose. Bien qu`il soit chrétien, on le prend souvent pour un musulman en raison de son prénom à consonance arabe. Il finit par accepter cette nouvelle identité, par conviction aussi bien que par nécessité. Cependant sa conversion ne lui vaut pas d`être accepté par ceux qui ont été élevés dans la foi musulmane. Sur le plan socioculturel, Kassem, qui au lycée s`est si bien intégré à la civilisation française, devient un apatride.

    Kassem est le seul membre de sa famille à avoir réussi sa scolarité, en méritant le respect du maire de sa commune. Il a du mal à se dissocier de ses frères qui sont tous des repris de justice. Sa loyauté indéfectible l`oblige à venir en aide à son frère, Klodomir, récemment sorti le l`hôpital psychiatrique, qui a l`intention de s`embarquer dès le lendemain pour le Brésil où il prétend vouloir participer à la lutte contre la déforestation. Il s`avère qu`il est impliqué dans le trafic d`armements ; il se noie en se jetant hors bord pour échapper à une rafle policière. Cet épisode haletant et rocambolesque jette une nouvelle lumière sur les activités des trafiquants au large des côtes européennes.

    L`éducation sentimentale du jeune Kassem donne lieu à des scènes divertissantes, dignes d`une comédie de mœurs. Dans la relation entre Kassem et Aminata, l`obtention du bac revêt une importance primordiale, puisque le père d`Aminata insiste qu`elle y soit reçue avant de se marier. A une époque où l`on reproche aux lycéens français, surtout ceux de la filière L, d`être faibles en mathématiques, la jeune Aminata est typique de sa génération. C`est une littéraire, aux goûts romantiques, qui ne tarde pas à séduire le timide Kassem, mais le jeune homme est obligé de lui donner des cours particuliers pour combler les lacunes dans ses connaissances en algèbre Quand elle est à nouveau recalée, elle trouve un autre précepteur, frais émoulu du système éducatif ! L`ingénuité du jeune Kassem s`affronte au cynisme du père d`Aminata qui se délecte à lui donner des leçons sur les périls de la vie conjugale. Il ne veut pas de Kassem comme gendre, bien que le jeune homme ait fait l`ultime sacrifice pour être admis dans cette famille musulmane !

    C`est dans la dernière partie du roman, Le blanc, que la satire est la plus mordante. Kassem, en découvrant les USA, s`exclame : « Quel étrange pays ! Le meilleur y voisine avec le pire, ce qui fait qu`on ne sait si on doit en dire du bien ou du mal. » De tous les pays évoqués dans le roman, l`Amérique est celui qui représente le mieux la tension entre le bien et le mal, qu`incarne la relation entre Kassem et Ramzi.

    Le portrait que brosse Maryse Condé de la société américaine du XXIe prend une dimension biblique ! Tourmentés par un terrible fléau (l`obésité), les citoyens de New York semblent attendre l`avènement d`un sauveur qui les en délivrera. Axel, fait remarquer que l`Amérique est un pays qui adore les charlatans, chefs de sectes, inventeurs de régimes alimentaires bidon. Ramzi sait en profiter. Tel un caméléon, il se déguise en prenant des allures de dévot. C`est l`image de Satan qui éclipse celle du Christ. Les Américains l`acceptent comme une nouvelle Messie, l`envoyé qui les libérera. (P307) Ils le parent de toutes les vertus : L`envoyé est plus qu`un saint, un dieu. Il est si beau qu`il ne peut être humain.  (P310) Cette tendance à la crédulité est-elle révélatrice de l`insécurité des occidentaux qui ont perdu leurs repères moraux et qui cherchent désespérément une solution spirituelle !? Quoi qu`il en soit, le docteur ne tarde pas à enrayer le fléau en usant de ses méthodes occultes.

    Ramzi prétend être partisan de l`opinion que l`argent mène le monde. Dans le pays de l`opportunisme, il ne manque pas de trouver le filon qui lui permettra de s`enrichir, tout en assouvissant sa passion pour les orgies sataniques. Une maison funèbre périclite, victime de la crise économique. En introduisant un rouge à lèvres empoisonné au marché américain, Ramzi fait augmenter la chiffre d`affaires de cette entreprise familiale défaillante. De plus, Il se fait une fierté d`avoir participé à la lutte contre l`obésité en éliminant ses jeunes victimes. « Quelle valeur peuvent avoir les vies de stupides donzelles friandes de hamburgers et de hotdogs. » (P306) L`humour noir de ces derniers chapitres du roman présente la société contemporaine sous un jour inattendu qui donne à réfléchir sur les grands enjeux économiques et moraux de notre siècle.

    Ramzi signale à Kassem que ce sont les pauvres hères comme lui que la société punit, non pas ceux qui savent s`enrichir. Kassem lui-même, d`ordinaire peu disposé à se plaindre, en vient à déplorer le fait que la justice s`acharne contre le menu fretin et ne s`en prenne jamais aux vrais coupables. Les deux flics newyorkais, Dick et James, une parodie de Starsky et Hutch, que Kassem avait toujours admirés, ne le libèrent que quand Ramzi décide d`intervenir. Ils ne sont pas les garants de la justice américaine, tels que nous les présentent les séries télévisées ; ils sont à la solde des gens riches et influents.

    A New York, qui est censée être la ville où tous les espoirs sont permis, le déclin du statut social de Kassem est vertigineux. Il est réduit à travailler dans les toilettes souterraines de la Chauve Souris, où sévissent la drogue et la prostitution. Les trafiquants, petits criminels minables que Kassem compte parmi ses amis, lui manifestent une loyauté indéfectible. Paradoxalement, ce sont eux qui, comme son frère Klodomir l`avait déjà fait, mettent en garde Kassem contre l`influence maléfique de Ramzi. Kassem en conclut que, dans les couches les plus basses de la société, le bien et le mal sont emmêlés. Cet alliage s`avère donc plus résistant aux faux-semblants de Ramzi que ne le sera l`or pur de la bonté de Kassem qui fondra dans l`étreinte de l`Envoyé, tout en demeurant un élément incorruptible.

    Malgré les avertissements de ses amis, Kassem semble avoir l`intention de braver l`irrésistible influence de Ramzi et de lui faire comprendre l`énormité de ses crimes. Il quitte le quartier défavorisé où il habite (Brooklyn) et entre dans le quartier aisé de Manhattan où réside le docteur. Se sentant un intrus dans un autre monde, il tire la conclusion que les riches ne veulent rien avoir à faire avec les pauvres. Il se rend compte qu`il avait jusqu`alors ignoré qu`en dépit des nobles discours le fossé entre les riches et les pauvres s`élargit inexorablement. Ce constat suscitera un écho chez de nombreux lecteurs français / britanniques qui, indignés par les vains mots de leurs dirigeants politiques, se trouvent démunis devant l`ampleur d`une crise économique qui risque d`inverser les progrès sociaux des Trente glorieuses. Cette évocation de Manhattan n`a rien de satirique, ni d`irréel. C`est Kassem lui-même qui fournit le commentaire social ; Il a mûri ; on ne rit pas à ses dépens. Kassem n`est plus le jeune homme ingénu qui avait tendance à nourrir de faux espoirs. Sa vision du monde s`est compliquée.

    Pourtant, son ingénuité lui avait conféré un entêtement, voire une fermeté de caractère. Les ricanements de Ramzi ne l`avaient pas découragé outre mesure; il avait osé réclamer son indépendance, choisir sa propre voie, quitte à se trouver dans des situations précaires dont le docteur l`avait si souvent extrait. Face à l`indifférence d`Ebony Star et du père d`Aminata, il avait persisté en niant l`évidence. En mûrissant, il devient plus velléitaire ; sa force de volonté s`affaiblit. Lui qui avait sauté sur l`occasion de se marier avec Anna-Marie dès leur première rencontre, rate l`occasion de se lier avec Lubov, sa planche de salut. Il ne sait plus s`il doit rejoindre Aminata et assumer ses responsabilités de père.

    Dans le dernier chapitre, le drame psychologique qui avait sous-tendu la satire sociale tout au long du récit arrive à un dénouement qui nous réserve une dernière surprise. Le docteur à la réputation sulfureuse semble se muer en poète et pilier de la société. Kassem finit par tomber dans les bras tendus de ce soi-disant philanthrope qui se veut son tuteur. Sur l`axe du bien et du mal, les deux pôles opposés se touchent. Le lecteur doit s`interroger sur les forces contradictoires qui animent le personnage de Ramzi.

    Pleinement adapté à la société newyorkaise, le docteur a su ranger ses squelettes dans le placard. Il fait faire ses parages par d`autres, tout en gardant un mépris impitoyable pour ses jeunes victimes : les belles ténébreuses américaines atteintes du fléau de l`obésité. Pour l`obliger à rester auprès de lui, Ramzi exerce sur son protégé un chantage moral, en lui rappelant qu`il a toujours été son ami. Les sensibilités religieuses du jeune homme, assoiffé de la tendresse dont il a été privé pendant son enfance, l`inclinent à assimiler les paroles trompeuses de Ramzi à celles des Saintes écritures.

    Ce dernier chapitre se prête à de multiples interprétations sur le plan psychologique, ainsi que sur le plan social. L`amour que manifeste Ramzi pour son protégé est-il sincère ? Comment cette attirance mutuelle peut-elle s`expliquer ? Que deviendra Kassem? Quel avenir attend Ramzi à New York ? Le docteur est-il si différent des autres sommités de la société contemporaine, dont les secrets obscures restent enfouis jusqu`au au jour où ils reviennent les hanter ?

    Au fil de son roman, où se côtoient les incarnations du mal et de la bonté humaine, Maryse Condé use de ses talents littéraires riches et variés pour livrer un commentaire social qui donne à réfléchir à ses lecteurs français et britanniques.

    Cyril Jones, février 2013

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