lundi, 7 juin 2021
J’ai lu ce livre pour la première fois il y a 11 ans et je viens de finir de le lire pour la deuxième fois, car le club de lecture l’a nouveau choisi. Le narrateur du livre est un jeune garçon et nous apprenons comment Madame Rosa s’occupe de lui et de six autres enfants dont les mères sont des prostituées. Ils habitent au 6ème étage d’un appartement sans ascenseur.
Apparemment écrit par Émile Ajar, le livre a remporté le prix Goncourt en 1975. L’auteur n’a pas souhaité être interviewé. Le fils du cousin de Gary, Paul Pavlowitch, s’est fait passer pour l’auteur pendant un temps. La vérité sur la paternité du livre n’a été révélée qu’après la mort de Romain Gary, faisant de Romain Gary le seul auteur à avoir remporté le prix Goncourt 2 fois.
Utilisant le langage riche et coloré de la rue, Momo nous présente les différents personnages du quartier Belleville. Il y a Monsieur Hamil qui a toujours le sourire et livre de Victor Hugo, Dr Katz, Monsieur Dia qui lit tout le temps, Madame Lola, l’ex-boxeuse et travesti sénégalaise qui travaille le bois de boulogne, et d’autres mômes comme Banania et Moise. Il semble que le quartier soit presque dépourvu de Français blancs.
Le livre est une illustration frappante de la façon dont les gens qui ont très peu de biens, ou dont la société se méfie, affiche souvent le plus grand esprit communautaire, et aider les uns les autres avec soin, et même de l’argent.
On apprend que Madame Rosa a une tête de vieille grenouille juive avec des lunettes et de l’asthme. Que des lois existent pour protéger ceux qui ont quelque chose à protéger. La prostitution est l’activité la plus normale.
Trop âgée pour travailler (se defendre) comme avant, Madame Rosa, rescapée d’Auschwitz, succombe peu à peu à diverses maladies, à la perte de force et à la vieillesse. Il arrive un moment où elle n’est plus capable de porter son poids dans les escaliers jusqu’au sixième étage. Le narrateur, Momo, encore enfant, est contraint de s’occuper de Madame Rosa comme elle l’avait fait pour lui. Elle est catégorique sur le fait qu’elle n’ira pas à l’hôpital pour mourir ou se faire avorter. Elle préférerait aller dans son petit trou juif – une pièce inutilisée au bas de l’immeuble. Innocemment, Momo demande à plusieurs reprises pourquoi Madame Rosa ne peut pas se faire avorter, alors qu’il parle d’euthanasie. Fait intéressant, le livre a été publié la même année que l’avortement a été légalisé en France.
Tout au long du livre, on retrouve l’amour entre Momo et Madame Rosa si bien articulé, à la fois innocent et savant.
Peut-être parce que Romain Gary avait 60 ans lorsqu’il a publié ce livre, et peut-être craignant sa maturité, ce livre dresse un très triste tableau de la vieillesse, celle dominée par la maladie et les facultés perdues.
On sait qu’il s’est suicidé en 1980 à l’âge de 66 ans. En 1978, lors d’un entretien avec la journaliste Caroline Monney, lorsqu’elle lui a demandé ce qu’il pensait du vieillissement, Romain Gary a répondu: “Catastrophe. Mais ça ne m’arrivera pas. Jamais. J’imagine que ce doit être une chose atroce, mais comme moi, je suis incapable de vieillir, j’ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut, vous connaissez ? J’ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais.”
Les livres nous donnent souvent une façon différente de voir le monde. C’est une bonne raison pour laquelle nous lisons. Pourtant, même si les livres nous emmènent à des époques et des lieux différents, l’écrivain est généralement éduqué et en suivant des règles d’écriture tacites. Même lorsque l’auteur brise les règles, il est d’une manière compréhensible ou acceptable. Mais dans le monde de Momo, tout cela s’effondre. En tant que narrateur, il suppose que nous acceptons certaines choses comme la prostitution comme normales, que nous partageons son langage inculte et sans instruction, et qu’on accepte sa façon de voir le monde. Et voila, pour réaliser tout cela, pour avoir pénétré l’esprit illogique et innocent d’un enfant comme Momo, on peut comprendre pourquoi ce livre a remporté le Prix Goncourt