Quel livre! Dès le premier chapitre, le drame est continu et puissant. Presque shakespearien. S’il avait été écrit aujourd’hui, on dirait que son style cinématographique a permis à l’auteur d’espérer qu’il deviendrait un film. Zola semble capable de voir directement dans l’âme de ses personnages avec une telle perspicacité et une telle empathie. Oui, l’empathie, même avec ses personnages les plus monstrueux.
La Bête humaine est le 17e livre de la série Les Rougon-Macquart d’Emile Zola et il a été publié en 1890. L’histoire se situe le long de la voie ferrée de Paris à Dieppe. La Lison, la locomotive à vapeur, est l’un des personnages principaux du livre.
Le drame commence avec le séjour de Roubaud et Séverine à Paris. Pour commencer, ils semblent être un couple normal, pas longtemps mariés, profitant d’une visite dans la capitale. À ce point la, il leur était encore possible d’avoir une vie heureuse ensemble. Mais après quelques verres, Roubaud déclare ne pas comprendre pourquoi Séverine a refusé l’invitation à rester quelques jours avec le riche et puissant Grandmorin, son «parrain et tuteur». Ayant aidé Roubaud à remporter une promotion, il dit qu’il n’était pas juste que Séverine refuse la demande de visite de Grandmorin. Lors d’une vive dispute sur sa relation exacte avec Grandmorin, Séverine avoue avoir été usée par lui. Tout change et ainsi commence la terrible histoire. Roubaud entre dans un crise de jalousie et commence aussitôt à planifier sa vengeance sur son bienfaiteur. Si seulement Séverine eût couché avec Roubaud cet après-midi, comme il le suggérait. Si seulement elle n’avait pas acheté à Roubaud ce cadeau – un couteau – tout aurait été si différent.
Excepté La Lison, Roubaud et Séverine, Jacques Lantier est probablement le personnage central de l’histoire, la vraie bête humaine. Son travail consiste à conduire la locomotive. Dans Jacques Lantier, Zola a créé l’un des hommes les plus odieux de la littérature comparable à Raskolnikov de Dosteovesky, M. Hyde de Stephenson et Hannabil Lecter de Thomas Harris.
Mais Jacques est un être humain par ailleurs décent. On pourrait imaginer s’asseoir dans un bar, partager un verre, bavarder. Et à part de son problème, sa bête à l’intérieur, tout aurait pu aller bien. Même lorsque la bête commence à relever la tête, le lecteur continue à sympathiser avec Jacques et ses luttes. On veut qu’il se batte et gagne. Il est enfin guéri quand il trouve le véritable amour avec Séverine. N’est-ce pas?
Zola s’éloigne des traditions surnaturelles (y compris religieuses) et romantiques pour embrasser le monde scientifique et industriel. Le démon de Jacques, son besoin de tuer, est peut-être hors de son contrôle. Jacques lui-même considère que cela a un trait avec lequel il est né, dans ses gènes. C’est un thème récurrent dans les œuvres de Zola, et pose la question qui imprègne son œuvre: sommes-nous réellement gouvernés par des forces sur lesquelles nous avons peu de contrôle? Ce n’est pas seulement ce dont nous pourrions hériter, mais aussi l’environnement qui nous entoure qui influence ou contrôle notre nature:
“Et c’est là ce qui constitue le roman expérimental: posséder le mécanisme des phénomènes chez l’homme, montrer les rouages des manifestations intellectuelles et sensuelles telles que la physiologie nous les expliquera, sous les influences de l’hérédité et des circonstances ambiantes, puis montrer l’homme vivant dans le milieu social qu’il a produit lui-même, qu’il modifie tous les jours, et au sein duquel il éprouve à son tour une transformation continue.” Le Roman expérimental, Émile Zola
Si le déterminisme est un thème, un autre est celui de notre rapport à la mécanisation et à l’industrie. Une grande partie de l’histoire est située le long de la ligne de chemin de fer de 228 kilomètres de la gare Saint-Lazare à Paris au Havre, en passant par Rouen. Il y a une scène remarquable où la tension monte et monte, où Zola décrit la bataille menée par Jacques et Pecqueux pour pousser leur La Lison à travers une tempête de neige. On se demande si Zola ne suggère pas que notre amour de la mécanisation et du progrès incontrôlable ne courtise pas le désastre, une suggestion renforcée par la scène finale du livre où le train en fuite roule sans conducteur.
La Bête humaine n’est pas une lecture légère et il y a peu d’humour. Cependant, le drame est intense, superbe et imprévisible. Et quelle foule! Alors que Jacques Lantier se débat avec sa bête intérieure, Roubaud est un meurtrier, Séverine sa complice, Flore provoque un terrible accident de train, Grandmorin est un violeur et Misard empoisonne sa femme! Le juge d’instruction, Denizet et le secrétaire général, Camy-Lamotte sont heureux de se passer des règles de justice pour s’occuper des leurs. Où sont les braves gens de Paris et du Havre!